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BLOCAGE DE LA MINE DE GOLDKLAUS : MA VÉRITÉ. PAR LUKAS FRIEDRICH

Après la charge contre des militants écologistes sur la mine de Goldklaus, le chroniqueur livre son témoignage pour La Déposition. 


© Pauline Fargue


Jeudi dernier près de Köln a eu lieu un grand rassemblement citoyen. Plus de 6500 manifestants s’étaient rendus  en toute illégalité devant la mine de Goldklaus. Objectif : le blocage total de ses infrastructures. Cette mine de lignite à ciel ouvert est exploitée par TSI, un conglomérat qui s'est spécialisé dans l’extraction des énergies fossiles. Avec plus de 120 000 clients, il est à ce jour le principal distributeur d’électricité dans l’Union. Au fil de son déploiement, la mine grignote une magnifique forêt alentour. Pour cette raison, elle est devenue pour beaucoup le symbole de l’acharnement des grandes industries à détruire les ressources de la planète. 

Depuis plusieurs années, elle a été la cible d’écologistes, où des actions diverses se sont multipliées. Or, celle qui a été organisée jeudi dernier a été particulièrement relayée pour deux raisons : la première est sa très forte participation, exceptionnelle dans le contexte actuel, avec des activistes venus de toute l’Union pour mener ce qui est à ce jour la plus grande action de désobéissance civique contre la mine. La seconde raison est moins réjouissante. C’est le tour violent, funeste même, qu’a pris cette action, du fait de confrontations avec les forces de police qui étaient venues pour évacuer les lieux. 

Un certain nombre d’entre vous me connaissent comme chroniqueur régulier de ce journal. J’écris pour La Déposition depuis 7 ans. Aujourd’hui, si je prends la plume, c’est comme témoin et comme militant. La rédaction m’a toujours permis de m’exprimer librement et je tiens à la remercier de le faire encore, qui plus est dans ces circonstances particulières. J’ai participé à ce blocage et je constate que les informations et les images fournies par les médias ne sont pas à la hauteur. Elles sont incomplètes, manquent d’explications et, pour tout dire, d’objectivité. Comme souvent dans ces cas-là, les journalistes ont choisi de diffuser en boucle les images d’activistes menant des attaques contre les policiers. Ces images ne sont pas fausses, elles reflètent une réalité, mais une réalité partielle : les violences ont eu lieu des deux côtés. 

Je suis membre du groupe Inxtinction (NxN). Ce collectif international refuse de se satisfaire de pétitions et de tribunes et prend à bras le corps la nécessité de lutter activement contre le réchauffement et tous ses responsables - politiques, lobbys, entreprises. C’est dans ce cadre et avec quelques dizaines d’amis que j’ai rejoint le blocage qui s’organisait depuis plusieurs mois dans le plus grand secret. Nous assumons le caractère illégal de nos actions. Nous faisons le constat que seules l’insurrection, la désobéissance civique et les actions d’ampleur permettront de faire changer les choses. Nous ne voulons en aucun cas nous en prendre aux citoyens, mais  aux véritables pollueurs que sont les dirigeants et les industriels. C’est pourquoi les médias doivent être clairs là-dessus et ne pas nous faire passer pour de dangereux casseurs. Ce serait désigner les mauvaises personnes. Mais il faut à présent que la peur change de camp, que les puissants craignent nos actions, et non plus le contraire. 

Nous ne pouvons plus faire l’économie de la violence. Je parle en mon nom propre, bien sûr, mais nous sommes quelques-uns à en arriver à de telles conclusions. Cette violence est malheureusement devenue nécessaire, ne serait-ce que pour se faire entendre. Alors je le dis : oui, j’ai frappé. Oui, j’ai distribué des coups de poing, cassé des chaises et des morceaux de palettes sur mes ennemis, lancé des cocktails Molotov. Mais jeudi, pendant ces scènes de chaos, je ne l’ai fait que pour me défendre, pour défendre mes amis et défendre un site dont certains arbres ont plusieurs centaines d’années. Mais qu’on ne s’y trompe pas : en face de nous, nous n’avons pas affaire à des enfants de chœur. Bien au contraire : les policiers sont entraînés pour frapper fort, pour donner des coups efficaces et écraser l’adversaire. En me rendant devant la mine de Goldklaus, comme pour toutes les actions que je mène, j’étais préparé au rapport de force. 

Dès l’arrivée des policiers, des affrontements ont eu lieu. Très vite, nous avons dû élever des barricades pour nous protéger. Nous avons reçu des grenades et essuyé des tirs de flash-ball. Lorsque les policiers allaient au contact, les coups de matraque fusaient. Vers 17 heures, après plus de 3 heures de jets et de heurts, la rumeur a commencé à circuler qu’un homme était mort dans des circonstances inconnues. Il se trouve que j’ai pu le voir de mes yeux, traîné par un petit groupe affolé hors du théâtre des opérations. Il baignait dans son sang. Les médecins sur place n’ont pas pu le sauver. D’autres militants ont été gravement blessés. Une amie a perdu un œil. Les policiers, eux, étaient munis d’armes et de boucliers. Face à l’agressivité dont les policiers ont preuve dès leur arrivée, nous n’avons pas eu le choix. Il faut que la population sache que la violence est devenue inévitable, tant les intérêts des géants comme TSI, soutenu par l’État et le gouvernement, sont immenses. Ils ne nous laisserons pas bloquer leur exploitation destructrice, ils feront tout pour nous arrêter. Alors, si les conséquences de nos actes nous amènent à nous faire tuer ou nous mènent en prison, nous les acceptons. En nous engageant, nous avons tout quitté. La seule chose qui nous reste est notre courage. 

À l’heure où j’écris cette chronique un peu exceptionnelle, je suis caché. Elle sera ma dernière intervention. La police peut s'épargner d'interroger mes proches, ils ignorent où je suis. J'avais prévu un lieu de repli depuis longtemps. Ici je sais que je suis en sécurité. Presque invisible. Cependant, avant de disparaître tout à fait, je veux faire entendre la voix de mes compagnons de route. Que personne n’ignore quelle cause nous défendons et comment les choses se passent lorsque des militants écologistes essaient d’empêcher le pillage de notre planète. Une guerre a été déclarée contre nous. 

J’ai fait ma part. J’espère que les lecteurs de cet article relaieront à leur tour ce message : face à la répression et la destruction des ressources naturelles, nous devons faire nombre. Nous avons besoin de vous. Nos ennemis sont sans pitié. Mais si vous n’agissez pas, bientôt nous n’aurons plus rien, plus d’eau potable, plus d’air pour respirer. Choisissez votre camp. Engagez-vous, participez avec vos moyens. Contactez les associations écologistes, elles vous diront quoi faire. Et si vous souhaitez agir dès maintenant, vous pouvez aussi faire un don à la cagnotte « Defend defenders’ Planet » pour aider tous les militants. Ceux qui ont perdu un œil ou un membre doivent reconstruire leur vie, parfois retrouver un emploi. Il faut savoir qu’ils ne bénéficient d’aucune indemnité car les assurances estiment qu’ils sont entièrement responsables de leurs blessures. De même, les manifestants interpellés ont besoin d’une défense digne de ce nom. N’écoutez pas ce qu’on vous dira : face aux ténors du barreau employés par TSI payés des ponts d’or, les avocats commis d’offices ne font pas le poids. Je fais partie de ceux qui ont besoin de vous mais nous sommes des centaines dans ce cas. 

Quoi qu’il arrive par la suite, sachez que nous n’abandonnerons rien. Nos actes ne sont ni des erreurs de jeunesse, ni des gestes de désespoir. Nous avons des objectifs qui nous guident. Nous avons nos martyrs et nous sommes prêts à suivre leur chemin.