2




Alors c’est ça, ton monde. Une lumière blanche, muette. Rideau : ta paupière s’est levée. Tu ne sais plus qui tu es. Tu es ce qui est devant toi. Une paupière qui cligne et tout le reste. Voilà, tu es tout cela. Tout près, trop près pour que tu le distingues tout de suite, tu es cet endroit familier qui te touche presque. Une terre ? Une colline baignée de soleil ? Tu le sens, il est à portée, à un battement de cil, quel est ce lieu ? Tu le connais tu l’as toujours connu. Mais quelque chose ne. Mais quelque chose ne tourne pas rond. C’est peut-être toute cette lumière dont tu ne connais pas l’origine. Tu es tout ici mais c’est trop pour toi. Tu le sais, ça oui. Tu connais parfaitement cet endroit mais il n’est plus tout à fait le même. Tu en es presque certain. Alors tu es cela, entièrement : une sensation d’étrange ordinaire. Qu’est-ce qui s’est passé, qu’est-ce qui a changé ? Peut-être tout. Peut-être bien tout, un tout petit peu. Ton œil se concentre. Encore. Encore un peu. Le globe s’enfonce légèrement, la pupille se resserre. Et la colline, ta colline, oui tu la connais si bien. Ta colline devant toi. Elle est si proche. Elle est nue et tu la sais si douce. Ta paupière pourrait la toucher. Elle pourrait la couvrir. Tu voudrais tant. Elle est à un cil, la colline, tu la connais par cœur mais à la fois, tu sais qu’elle, qu’elle ne sera plus jamais comme avant. Tu vois mieux maintenant et le temps a repris son cours, sans crier gare. Ton œil parcourt la colline. Trop tard. Il frôle sa surface lentement. Trop tard, il le sait. Ton regard la suit, revient en arrière puis repart. Ton regard ne peut s’en empêcher : il hoquette. C’est que tu, tu sens que quelque chose est parti. Désormais tu vois bien. Très distinctement. Oui c’est ça : à l’autre bout l’hémoglobine s’écoule. La colline saigne tout là-bas. Tu sais maintenant. Tu reconnais tout. Et tu as compris. La colline nue que ton œil est en train de regarder. Ta colline. Soudain tu ne peux plus douter. Ton œil est plongé depuis l’éternité dans un morceau de chair. Ton regard le touche. Ton œil tremble. Il s’est ouvert sur un bras. Tu le sais soudain. C’est une évidence. Tu ne peux plus le nier. Ton œil s’est fichu dans ce qui reste de ton frère. Un morceau, l’avant bras. Un petit bout de chair. La colline elle est morte.