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LE REVENU UNIVERSEL, FAUSSE BONNE IDÉE OU VRAIE SOLUTION À LA CRISE DE L'EMPLOI ? 

L’allocation universelle semble l’objet d’un véritable engouement dans plusieurs pays de l’Union. Pourquoi les politiques sont-ils si enthousiastes ? Comment ce revenu garanti à tous a-t-il été mis en place ? Une enquête d’Irène Diot. 

©Pauline Fargue 

Au sein de l’Union, l’organisation de la société a sensiblement évolué depuis ces dernières années. De toutes ces évolutions, la plus marquante pour l’opinion est la mise en place d’une allocation universelle. En quelques mois à peine, dans la foulée de la décision par les institutions unies d’allouer tous les mois une somme commune à chaque membre de l’Union d’ici la fin du quinquennat, la mise en place de la mesure est devenue une véritable priorité. 

Souvent l’allocation universelle (parfois appelée « « revenu’ ou « crédit universel », « revenu de base », ou encore « salaire à vie » selon des modalités parfois subtiles) reste encore expérimentale dans de nombreuses zones de l’Union. Mais très vite, elle est apparue comme une réponse directe aux exigences économiques et sociétales imposées par le libéralisme économique et les effets de la mondialisation. Là où il est pratiqué, ce revenu est versé à tous les citoyens, en général à partir de leur majorité. Si les modalités et, bien sûr, les sommes versées varient d’un lieu à l’autre, le principe est partout le même : assurer une base financière à chaque citoyen, quelle que soit sa situation familiale, professionnelle et sociale.

La mesure a des opposants. Pour ceux-ci, le risque est d’inciter les gens à ne pas travailler. Cependant, les allocations mises en place ne permettent pas de vivre « confortablement ». Selon le pôle Allocations et prestations à la personne, ce n’est d’ailleurs pas l’objectif de la mesure. D’après les premières analyses statistiques que le pôle a bien voulu nous fournir, il s’agit de verser une somme susceptible d’assurer le paiement des factures de vie courante telles que l’eau, l’électricité et le logement. Ensuite, selon la région où est perçue l’allocation et les besoins qui varient d’un ménage à l’autre, celle-ci permettra éventuellement d’effectuer des règlements supplémentaires (alimentation, frais vestimentaires ou scolaires, etc). 

Toutefois, il apparaît que la relation au travail se trouve transformée par l’existence d’une allocation universelle : chaque citoyen étant libéré de la contrainte de subvenir à ses besoins les plus élémentaires, c’est à lui seul que revient de déterminer le temps de travail qu’il souhaite occuper pour obtenir le reste de ses revenus. Dans ces conditions, la personne travaille donc par choix et non plus par nécessité vitale. 

À l’heure où l’offre professionnelle s’est considérablement réduite dans certains secteurs, où de nombreux domaines connaissent de profondes transformations et que se développent les intelligences artificielles, où enfin les emplois à temps partiels constituent une manne de plus en plus importante, l’introduction d’un revenu universel semble bel et bien répondre à un besoin sociétal. Cette mesure donne enfin la possibilité à qui le souhaite de se former tout au long de sa vie. Les bénéficiaires peuvent ainsi améliorer leur C.V. et obtenir un accompagnement plus efficace dans la recherche d’emploi. On comprend l’intérêt et l’inédite ouverture - d’esprit, de perspectives, de projets, d’ambitions - que suscitent ces mesures en terme d’émancipation personnelle. Pour ceux qui portent cette mesure, l’allocation universelle, qui laisse à chacun le temps d’évoluer, serait ainsi le meilleur moyen de lutter contre le déterminisme social. 

Après plus de dix-huit mois de refondation de son organisation, période pendant laquelle un contrôle drastique a été fait des droits de chacun, ainsi qu’une remise à plat des prestations que chaque ménage touchait dans le système antérieur, l’Espagne est en train d’achever la mise en place de son crédit universel. Par la fusion de diverses allocations, promesse est faite de protéger toute la population. Sont concernés tout particulièrement les plus démunis, ceux qui, pendant leurs parcours souvent chaotiques, n’auront pu bénéficier de formations diplômantes ou d’emplois rémunérateurs. Comme nous l’expliquait le directeur d’une agence madrilène, première à avoir commencé les versements en Espagne, « maintenant, les pauvres n’auront plus d’excuse : tous les possibles s’offrent désormais à eux ! » Toutefois, on a pu entendre au cours de notre enquête des voix moins enthousiastes. Celles-ci s’élèvent contre la mesure, à commencer par certains allocataires. Certains en effet ne cachent pas leur inquiétude face à ce système qui, selon eux, les laisse «sans filet ». C’est ce vent de protestation que nous avons pu constater près d’une des villes les plus pauvres du pays. 

À Séville, un grand nombre de populations sont arrivées peu au moment de la crise. Ces personnes, souvent des familles, se sont installées dans les quartiers les moins chers, sans emploi ni perspective. Aujourd’hui, elle contestent le crédit universel dont elles sont bénéficiaires depuis environ quatre mois. Mais c’est dès l’annonce de la mise en place de l’allocation universelle dans leur zone qu’elles ont multiplié les actions coup de poing pour rendre impopulaire, retarder voire empêcher les premiers versements. Les centres d’allocations étaient leur cible privilégiée. Les bénéficiaires organisaient des réunions publiques en apparence spontanées, allant jusqu’à prendre d’assaut les bureaux des employés. 

Les raisons d’une telle sédition ? L’impossibilité selon ces prestataires de gérer l’arrivée mensuelle d’une somme d’argent importante et à laquelle ils n’étaient pas habitués ; par conséquent, nombre d’entre eux dépensaient tout - ou presque - au début du mois, puis se retrouvaient sans rien pour les trois à quatre semaines suivantes. Jusqu’alors, ces personnes vivant de multiples allocations (pour payer leur logement, élever leurs enfants, les scolariser ou se soigner) étaient accoutumés à recevoir cette somme en plusieurs versements, étalés dans le mois. Ainsi, pour un grand nombre de personnes entièrement dépendantes de l’État, recevoir le même revenu que tous les autres citoyens s’est donc paradoxalement avéré source de difficultés, jusqu’à provoquer parfois une situation de surendettement. 

Pour simplifier l’organisation de populations dépassées par la mise en place d’une allocation universelle, les institutions locales ont opté dès le début de cette année pour des cartes prépayées. Fournies par le centre d’allocation, elles permettent aux ménages les plus fragiles d’acheter notamment du gaz et de l’électricité selon leurs possibilités - et pas plus. Des témoignages révèlent qu’il peut arriver à certaines personnes en situation de grande pauvreté de devoir baisser leur chauffage de quelques degrés en fin de mois lorsque leur carte est vide. Mais globalement, cette décision a été plébiscitée par une majorité de la population invitée à se prononcer via une plateforme numérique. La carte prépayée apparaît à 76 % comme le choix de la raison. Elle a déjà permis à de nombreux foyers de se faire petit à petit à ce nouveau rythme de dépenses. Et, surtout, d’éviter de tomber dans la spirale de l’endettement. 

Enfin, une campagne a été lancée en parallèle pour inciter les citoyens inactifs à chercher des emplois adaptés à leurs besoins et leurs compétences, afin qu’ils atteignent d’eux-mêmes le niveau de vie auquel ils aspirent. Pour Caridad, une employée d’un centre d’allocations attaqué  en novembre dernier par des prestataires précaires, il n’y a pas de doute possible, ce système est ce qu’il y a de mieux. Elle connaît bien la population du quartier du Polygone sud de Séville, où elle travaille. Elle est formelle : « dans ces conditions aussi favorables d’aides et d’encadrement par l’État, s’ils vont encore payer des hamburgers à leurs gamins et se retrouvent sans rien à la fin du mois, ils ne pourront s’en prendre qu’à eux-mêmes. Nous, nous avons tout fait pour qu’ils vivent correctement ». Et en effet, on peut espérer qu’après des semaines de mise en route difficiles, cette organisation nouvelle assurera enfin un peu de paix sociale.