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SCANDALE DE LA VIANDE AVARIÉE : QUE S’EST-IL PASSÉ EXACTEMENT ?
Une partie de la viande avariée commercialisée a été récupérée et détruite par les autorités sanitaires unies, mais plusieurs centaines de kilos n’ont toujours pas été identifiés. Le point sur l’enquête et sur le système parallèle qui a permis pendant plusieurs semaines l’écoulement dans toute l’Union de denrées dangereuses. Par Mathieu Vaneck.
Tout est parti d’une simple dénonciation. Damien Besse, ouvrier d’abattoir depuis 25 ans, est l’homme qui a décidé un matin de faire connaître les pratiques qui avaient lieu sur son lieu de travail, près de Namur, depuis plusieurs semaines. En nous rendant là où il s’est réfugié depuis, nous pensions trouver un personnage pugnace et déterminé, c’est en fait un homme brisé que nous avons rencontré. Cet ouvrier simple et sans histoire, qui dit aimer son métier et se sentir utile à la société, n’avait pas supporté de voir se mettre en place un véritable dispositif dans l’abattoir où il travaillait dont le but était de commercialiser de la viande avariée, faisant fi de toutes normes et de la législation pourtant en vigueur dans toute l’Union. Alors, le matin du 14 mars dernier, il s’est présenté aux autorités pour dévoiler ce qui se passait.
Ce « système », comme Damien Besse le nomme lui-même, consistait à abattre la nuit des bêtes malades. Des images insoutenables qu’il a filmées sur place en secret, alors qu’il y travaillait avec trois autres ouvriers, donnent à voir des animaux se tenant à peine debout. Certaines présentent des œdèmes, des plaies ouvertes et des lésions suintantes et sont abattues là même où elles gisent. Les stocks de viande étaient ensuite rapidement écoulés grâce à des réseaux parallèles. Les enquêteurs ont retrouvé depuis des annonces proposant de la viande à des prix bien inférieurs à ceux du marché sur les réseaux sociaux, sur les sites de ventes directes mais aussi sur le darknet. Selon Damien Besse, c’est en imaginant que ses enfants pourraient se retrouver avec cette viande dans leur assiette, qu’il a décidé d’agir. À ce stade de l’enquête, on estime que ce sont près de 15 tonnes de viande issue d'animaux illégalement abattus dans cet abattoir qui ont été vendues. Un chiffre d’une ampleur sans précédent.
À la découverte de ce gigantesque réseau de commercialisation de viande avariée, qui a inondé le marché jusque dans les contrées de l’Union les plus reculées à l’insu de toutes les autorités de contrôle, la stupeur est grande. Depuis des années, l’Union suit des règles drastiques en matière sanitaire. Tout d’abord, chaque intermédiaire de la chaîne alimentaire doit être en mesure d’identifier ses partenaires (fournisseurs comme clients). Mais en réalité, chacun est libre d’interpréter cette directive, très floue dans sa formulation, comme il le souhaite, et celui qui se contentera de préciser la région d’origine de la viande ne sera in fine pas inquiété.
L’autre problème concerne l’ensemble des produits transformés pour lesquels on perd littéralement la trace des composantes carnées. Tout cela fait que d’une manière générale, retrouver l’origine d’un produit comme la viande peut suivre des itinéraires complexes.
Dans ces conditions que certains jugent par trop laxistes, et face à des producteurs mal intentionnés, les normes sanitaires très contraignantes qui s’appliquent dans l’Union semblent finalement vaines. En coulisse, des commissaires de l’Union chargés de ces questions nous expliquent sous couvert d’anonymat que « c’est bien joli de faire appel à la Chine, l’un des pays les plus exigeants en la matière, et d’attendre parfois pendant des mois la visite de ses experts en espérant obtenir sa certification comme le Saint Graal. Mais cela a quelque chose de rageant puisque n’importe où et n’importe quand, tout peut-être réduit à néant par n’importe quel patron d’abattoir peu scrupuleux. »
Cette fois-ci, la dénonciation par Damien Besse a été une chance car elle a sans doute évité de nombreuses intoxications. Mais aujourd’hui, même si le Haut commissariat uni aux questions sanitaires se veut rassurant (selon les conclusions, il n’y aurait pas de risques majeurs de contamination), personne ne sait combien de consommateurs ont été des victimes directes de l’ingestion de cette viande, et a fortiori avec quelles conséquences sur leur santé.
Par ailleurs, d’autres incertitudes planent : combien d’abattages illégaux ont lieu actuellement, et dont on ignore encore l’existence ? Quant au sort de Damien Besse, il est pour le moins incertain : à ce jour, le lanceur d’alerte a tout perdu en dénonçant son employeur. Il est aujourd’hui sans activité. L’homme de 46 ans nous dit ne se faire aucune illusion sur son avenir professionnel puisqu’il est « grillé dans le métier et trop vieux pour retrouver du boulot ». Il a dû quitter le domicile familial, laissant femme et enfants, dans l’urgence. Il est en effet obligé de se cacher loin de la « mafia » qui, selon ses dires, gravitait autour de l’abattoir et s’enrichissait du système de vente illégale. En outre, aucune menace n’ayant été proférée contre lui, il ne bénéficie pas de protection policière. Il n’a plus eu de nouvelles de sa famille depuis plus de trois semaines. Pour couronner le tout, Damien Besse ne touche aucune indemnité. N’ayant pas prévenu son employeur de son intention de dénoncer les pratiques dans l’abattoir comme l’exige pourtant la loi, il a été licencié pour faute grave et n’a droit à aucune aide. Il vit sur ses réserves – de l’argent qu’il économisait pour partir avec sa femme à Venise - sans savoir de quoi sera fait le lendemain.
Damien Besse vit sa situation comme une injustice. Quand nous l’avons rencontré, il nous a même affirmé que s’il pouvait revenir en arrière, il renoncerait à dénoncer ces pratiques. De son propre aveu, il n’aurait pas dû « jouer les héros ». Certes, cela gênait sa conscience, de devoir tuer ces animaux malades et faire prendre des risques à toute la population en laissant la viande circuler. Mais à ce jour, il n’a toujours pas retrouvé le sommeil.
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