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ÉCOLOGIE : PASSE D'ARME ENTRE DELILA ET L'ACTIVISTE INGER LINDELÖF. 

La célèbre chanteuse américaine s’en est prise à la créatrice du mouvement international des Grévistes de l’École suite à son discours lors de la CIC 24. Elle a multiplié les accusations en insincérité. Depuis, les deux célébrités et leurs partisans s’écharpent sur les réseaux sociaux. Par Stephen Kristov. 

 © Pauline Fargue 

Tout a commencé lundi dernier. Lors de la vingt-deuxième Conférence Internationale pour le Climat qui s’est déroulée à Hambourg, Inger Lindelöf était invitée à prononcer un discours. Devant un parterre de chefs d’États, elle a été particulièrement virulente envers les dirigeants de la planète, mais aussi très applaudie. Delila, qui est investie dans la cause écologiste depuis des années n’a pas manqué de souligner ce qui est pour elle un paradoxe. Elle a ouvert les hostilités dès la fin du discours en accompagnant les extraits qui circulaient sur Twitter de commentaires acerbes. Dans ses tweets, elle ne cache pas son agacement devant le succès de cette figure émergente, lycéenne vegan, fer de lance de toute une jeunesse qui se dit en colère face à la menace du réchauffement climatique. Mais surtout, elle dénonce ce qui ressemble pour elle à une opération marketing. 

« On avait les Castors juniors (1), maintenant on a les Grévistes juniors …  Bravo, les gars !» (Delila - le 25 mai dernier) 

Et en effet, la chanteuse – qui à sa façon s’y connaît en opérations marketing - ne mâche pas ses mots. À la lire, Inger Lindelöf serait ni plus ni moins qu’un nouveau produit à la mode, une caution pour les responsables politiques, pire, une vitrine « propre et clinquante » mis en avant par les lobbys pour mieux noyer le poisson. 


«L’illuminée complotiste en cheffe ne trouve rien d’autre à faire que s’en prendre à notre mouvement ?! Le machin cosmique a dû lui souffler qu’ #IngerLindelof venait de Venus et avait pour mission de lui bouffer les intestins. LOL. Redescends, @Delila ! » (un militant gréviste de l’École – le 26 mai dernier) 


La réplique ne s’est pas fait attendre.  Delila elle-même n’a pas de compte twitter, mais ses soutiens, en majorité de jeunes gens, si. Ils ont répliqué en masse, en se raillant de la star qui n’en est pas vraiment à sa première sortie. On se souvient qu’elle avait remis en cause l’origine des attentats du 20 février et elle fait régulièrement part de ses révélations mystiques à ses fans tout acquis à cause, ses « Love Creatures »(2) ). C’est donc surtout au niveau de sa crédibilité que la star est attaquée. 

@Delila Et vous, vous savez quoi ? Oh, vous êtes la poêle qui se fout du chaudron. #PassionBuzz (un militant gréviste de l’École en réponse au tweet ci-dessous) 
                                                                                                                                         Quand les journalistes me demandent ce que je pense d’#IngerLindelof ? Oh, que c’est le nouveau produit que s’échangent les industriels pour continuer à polluer en toute impunité. (Delila - le 25 mai dernier) 


De part et d’autre, le déchaînement d’agressivité est sans limite. C’est Delila qui a ouvert les hostilités, et il faut reconnaître que la rapidité et la tonalité de ses réponses aux militants, twittées qui plus est par l’auteure-compositrice en personne, n’aide sans doute pas à calmer la situation. À moins qu’il ne s’agisse d’une stratégie délibérée pour faire le buzz - ce qui s’avère particulièrement efficace. Pourtant, force est de constater que la chanteuse a su se racheter une conduite auprès de l’opinion publique depuis ces dernières années en montrant un engagement sans relâche pour la défense de l’environnement. 

Un temps approchée par les politiques, elle s’en est vite éloignée, poussée par une peur viscérale d’être instrumentalisée, préférant se tourner vers des associations et ONG « dont l’objectif n’est pas souillé par les astres noirs du pouvoir ». Ainsi a-t-elle pu rassembler des fonds pour la célèbre ONG One Planet Only et pour CityZen, une association très active, dédiée au développement durable en territoire urbain et qui vient de gagner le Most-Useful Award. Sans prendre parti contre Inger Lindelöf dans ce conflit, les porte-paroles respectifs de ces associations ont déjà manifesté leur soutien envers Delila, sans manquer d’insister également sur leur désir de travailler avec tout le monde dans les prochains mois. Mais ces messages n’ont pas réussi à apaiser la twittosphère.  


« Vous et # IngerLindelof êtes la caution du système. Honte à vous ! » (un Love Creature répondant à une Gréviste de l’École – le 27 mai)

Il faut reconnaître que derrière les invectives, dans cette histoire Delila vise plutôt juste. Quand elle affirme par exemple que ce sont les lobbys qui financent le mouvement des Grévistes de l’école, elle fait état d’une réalité cachée, puisque le journal Colaps a révélé il y a deux semaines comment la jeune fille, issue de la bourgeoisie artistique de Laponie (les bobos du nord, pourrait-on dire), a de source sûre eu l’occasion d’échanger longuement avec un directeur de communication avant de poster le message Facebook qui l’a fait remarquer. Ce même directeur l’a ensuite intégrée dans un think tank consacré à la conversion des entreprises du CAC 40 aux énergies renouvelables et à l’économie circulaire. Toute mordante qu’elle est, dans ses discours officiels, la jeune militante semble bien s’acoquiner avec ceux-là mêmes qu’elle accuse de provoquer le dérèglement climatique.

Par ailleurs, si elle n’est pas responsable du fait que les CIC n’ont jamais permis jusqu’à présent de mettre en place des actions écologiques concrètes et coordonnées à l’échelle mondiale, Inger Lindelöf ne peut ignorer que leur tenue représente un coût astronomique, y compris au niveau du bilan carbone, ni que la dernière conférence a été en partie financée par le grand industriel du charbon Heinrich Kaufman. Sans remettre en cause celle qui vient de recevoir le Prix Nobel de la Paix et est devenue en quelques mois une icône pour tout le monde uni, ces zones d’ombre ont de quoi interpeller. 

En conclusion, cette dispute à réseaux sociaux ouverts a sans nul doute éclaté sur fond d’une rivalité naissante entre deux prétendantes au statut d’ambassadrice de l’écologie. Or, comme dans toutes les disputes, il y a à boire et à manger des deux côtés. La rupture que ces échanges révèle est cependant plus profonde qu’il n’y paraît. Elle montre deux visions de l’écologie radicalement différentes, et avec elle deux stratégies et deux objectifs opposés. Chacune de ces visions a ses avantages et ses inconvénients, et pour être honnête, à l’heure où cet article est publié, si on fait le bilan de cette guerre des egos, on pourrait dire : un point chacune, Mesdames. Mais au fond, ce sont peut-être précisément ces visions irréconciliables qui sont en train de déchirer les populations. Car même à l’approche du danger le plus grave qu’ait connu notre espèce, l’union des hommes et des femmes contre leur ennemi commun semble désespérément impossible. À l’aube d’une catastrophe planétaire annoncée, il n’est pas certain qu’on ait vraiment envie de connaître la fin du match. 

(1)  Junior Woodchucks en Américain
(2)  Créatures d’amour 

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