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NOUS AVONS TESTÉ POUR VOUS : LES RENVOYEURS DE BALLE À DISTANCE

Dans le cadre de notre série « Nous avons testé pour vous », nos reporters sont partis en Pologne découvrir les usines de fabrication des RDB. Par Paolo Gijon et Léa Roussel. 




Très utilisées lors des dernières manifestations contre la loi travail, les Renvoyeurs de Balles à Distance sont encore mal connues du grand public. Afin de comprendre quelles sont les exigences des concepteurs de ces armes sublétales, nous sommes allés les rencontrer. Voici tout ce que vous vouliez savoir sur les RBD sans jamais oser le demander. 

C’est dans une usine en plein coeur de la Pologne que nous nous sommes rendus. Abibal est une filiale spécialisée dans la fabrication d’armes destinées au marché de l’Union. Son credo : la sécurité intérieure. C’est là que se fabrique la plus grande quantité des Renvoyeurs de Balles à Distance, mais aussi les gilets pare-balles – des maillots de corps de niveau III, considérés comme les meilleurs du monde, les tasers et autres grenades de désencerclement qui constituent aujourd’hui l’équipement de chaque policier de l’Union. 

Le fabricant ne peut évidemment pas nous dévoiler ses secrets de production. Pour autant, Stanislaw Cyganik, le gérant de l’usine de Lodz, nous a permis d’assister à plusieurs essais. Leurs résultats positifs attestent de leur conformité aux normes les plus drastiques. Il nous explique : « Même si nous avons aujourd’hui le quasi monopole dans l’Union, notre mesure, ce sont en réalité Israël et les USA, dont les normes sont actuellement les plus drastiques du monde. Ainsi, nous nous assurons d’avoir toujours une longueur d’avance. En effet, les normes de l’Union ne sont pas les plus restrictives au plan international. Pour autant, nous sommes fiers d’avoir su adapter nos process de production à ces exigences spécifiques. Notre ambition, c’est de rester une référence dans le domaine de la sécurité intérieure. » 

Nous souhaitons alors revenir sur le long mouvement de protestation contre la loi « Travailler ensemble », surnommée « esclavage » par ses détracteurs. Mais Stanislaw Cyganik nous prévient : « Je ne suis pas un politique, moi. Je ne prends pas position. Tout ce qui compte, c’est mon business. » Pour mémoire, cette loi qui autorise le doublement du nombre des heures supplémentaires et permet de payer l’employé jusqu’à trois ans après l’accomplissement de ces heures, avait provoqué l’hydre d’une grande partie de la population : à la fois de ceux qui s’opposaient au doublement des heures supplémentaires et de ceux qui y étaient favorables, mais à condition d’être payés rapidement. 

Mais l’interdiction des attroupements de plus de 50 personnes sur les places publiques a amené la population à trouver de nouvelles manières de protester. Pendant plusieurs mois, des actes isolés en apparence, mais dans leur grande majorité portés en amont par des collectifs, se sont multipliés. Certains étaient bon enfant, parodiques et humoristiques, mais d’autres étaient bien plus problématiques et dangereux. 

Pour le ministre de la sécurité intérieure unie, Jacques Barthélémy, cette restriction du nombre des manifestants a fait office de révélateur en laissant s’exprimer au fil des semaines des actions de plus en plus violentes. Il a évoqué depuis le début des affrontements son souhait de ramener le chiffre à 10 personnes, expliquant que la réduction à 50 a permis de montrer à tout le monde que ce sont justement les plus radicaux, ceux qui veulent explicitement aller au combat, qui sont les initiateurs de ces regroupements sauvages. Pour lui, la solution est donc de rendre les autorisations de manifestations plus contraignantes encore, afin de laisser une plus grande marge de manœuvre et à terme, une maîtrise plus efficace des mouvements de foule protestataires. 

Or, à de nombreuses reprises, l’usage des RBD dans les petits regroupements a été remis en cause. En effet, la violence des coups a atteint des proportions inattendues. En presque 6 mois d’affrontements, on a dénombré 18 décès, une cinquantaine de comas, des dizaines de paralysies faciales définitives, près de 70 mains arrachées, 54  éborgnages et 16 colonnes vertébrales brisées. Est-ce que pour Stanislaw Cyganik, les RBD auraient été des armes mal adaptées à ces formes nouvelles d’action ? 

Il nous fait part de sa perplexité : « On ne peut rendre les RBD responsables. Ce sont des armes, pas des jouets pour enfant mal calibrés ! Les Renvoyeurs de balles à distance sont conçus pour être précis. C’est ce qui fait leur spécificité. Ils ont un système de visée électronique EOTECH 412. C’est un viseur holographique très simple et très performant. Il dessine un cercle rouge avec, au centre, un point. Avec cette technique, n’importe quelle personne, du moment où elle est formée et entraînée, peut estimer en quelques dixièmes de secondes la distance de la cible. Sa marge d’erreur est de 10 cm, pas plus. À ce niveau de technologie, il n’y a pas à tergiverser, tirer par erreur devient hautement improbable ». Et en effet, nous avons nous-mêmes pu effectuer des tirs sur cibles. La visée EOTECH 412 permet de viser les deux yeux ouverts. En quelques minutes, nous avons vu nos tirs progresser et gagner en précision. 

On a soupçonné également un défaut de fabrication. Mais les expertises ont montré que les RBD utilisés étaient parfaitement conformes à la charte de fabrication. M. Cyganik est catégorique, « s’il y a des incidents, on ne peut en aucun cas les imputer à l’appareil ». Puis d’ajouter : « Vous savez, c’est un comportement banal d’accuser l’outil quand quelque chose dérape. » 

Pour autant, le patron d’Abibal qui nous dit avoir d’excellentes relations avec le ministère de l’Intérieur uni, ne croit pas davantage à des erreurs humaines. Pour lui, les policiers ne sont pas responsables. « C’est trop facile, de jeter l’opprobre sur ces gens qui font un travail difficile et indispensable. Ils sont en première ligne. Et je vous répète qu’une formation sommaire suffit à rendre nos armes praticables. ». Il soupçonne davantage un usage de munitions non adaptées.  « Les munitions utilisées dans l’Union n’ont pas été conçues, fabriquées ni livrées par nos soins. Il faudrait vérifier mais celles utilisées dévient peut-être, même légèrement. Parfois cela suffit. Si c’est le cas, ce serait regrettable, d’autant plus lorsqu’on sait que les balles Abibal ont été spécifiquement étudiées pour ne pas pénétrer les chairs ni briser des os. »

Nous faisons remarquer toutefois à Stanislaw Cyganik qu’un œil n’est ni une chair ni un os. Les munitions Abibal conçues dans son usine pourraient donc très bien éborgner quelqu’un. Le gérant le reconnaît volontiers mais ajoute qu’on ne peut pas non plus faire de miracles et qu’un conflit comporte toujours des risques. « C’est sur l’humain, que nous travaillons. Il faut accepter ce fait, avec tous les doutes que cela implique ». Maître du jeu, il nous invite alors à venir voir les prototypes sur lesquels son usine travaille. 

Stanislaw Cyganik ne s’en cache pas, il est ambitieux. Il compte « inonder le marché » de nouvelles armes dans les prochaines années. Avec toutes les précautions nécessaires, il nous fait alors essayer le bolas électronique, sorte de lasso version high tech. Il happe sa proie en agissant comme un morceau de fer attiré par un aimant, ce qui le rend très agréable à manipuler. Le bolas électronique n’est pas dangereux, à condition cependant de ne pas être lancé au niveau du cou. 

Abibal est en train de développer également des RBD intelligents, capables d’empêcher de viser la tête grâce à un système de diodes vertes et rouges qui captent certaines ondes. Si l’arme est pointée en direction de la nuque, du visage ou du crâne, une alarme se met en route. Il faut encore trouver un moyen de rendre cette alarme audible au milieu d’une foule – même réduite à quelques personnes -. Par ailleurs, l’arme prévient mais n’empêche pas le tir car, nous précise M. Cyganik, il y a des situations d’urgence, que le fabricant doit toujours envisager sous peine de ne pas savoir répondre à tous les besoins du client. 

Après nous avoir tiré dessus alors que nous portions le gilet pare-balle qui a permis à Abibal de se retrouver dans la cour des grands, le gérant a évoqué sa toute dernière trouvaille : le canon acoustique. Il diffuse jusqu’à 150 décibels pour disperser les manifestants (un avion passant à proximité en produit 130). « Mais, précise-t-il, on ne connaît pas encore exactement les conséquences d’un tel signal sur l’audition, combien de temps il peut être diffusé, ni comment protéger les policiers. » Pour cette raison, nous n’avons pas pu tester cette dernière arme. « Nous devons voir avec des scientifiques, mais aussi avec les instances décisionnaires de l’Union ce qui serait autorisé et selon quels cas de figure afin de savoir quelles limites exactement nous devons nous imposer. »

Stanislaw Cyganik nous assure travailler à la demande des responsables de l’Union. Il est confiant en l’avenir et croit à la prospérité de son usine : toutes ces armes pourraient ainsi s’ajouter rapidement à l’arsenal déjà existant. « Dans notre domaine, croyez-moi, il y a encore beaucoup à faire, beaucoup à inventer. » C’est sur ces mots de conclusion que ce patron haut en couleur nous a laissés. 

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