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Lune haut dans le ciel, étoiles, petit vent. Tu as l’œil grand ouvert. Ton esprit est plus éveillé que jamais. Plus tôt dans la soirée, le camion vous a déposés là. Personne alors n’a parlé et vous vous êtes mis à avancer en silence, le cœur serré, tout au crissement de vos pas sous le sable et au ressac de plus en plus proche, écoutant la mer et sa puissance s’imposer. Et partout, l’odeur rafraîchissante de l’iode. 

Tu as l’œil ouvert, l’esprit plus éveillé que jamais et pourtant tu distingues à peine ce qui se trouve autour de toi. Tu n’es pas seul mais parmi une foule compacte et figée, membre parmi ses membres agglutinés, dont chacun, collé aux autres faute d’espace essaie de se rassembler sur lui-même et doit, désormais coincé où il s’était installé après avoir embarqué, à sa place assigné accroupi ou assis, avec dans le dos parfois accroché un tout, tout petit, veiller à garder l’équilibre sous peine de chavirer.

Te voilà, au milieu d’une foule serrée au milieu d’un canot en caoutchouc gonflé d’une épaisseur d’air, pellicule dérisoire entre toi et les flots et que tu sens se déformer sous ton poids.
Te voilà, au milieu d’une foule au milieu d’un canot jeté sur une masse immense et qu’elle peut balayer d’un revers de vague, la mer, cette mer toujours, liquide noir, infini, zone des ténèbres et de menaces dont chaque molécule ne semble pouvoir avancer qu’en se fracassant à ses semblables, au contact du canot et sur elle-même, éclatée puis fondant, roulant et se mêlant aux autres à nouveau, jusqu’à se dissoudre et renaître ailleurs, toute neuve dans ce magma indifférent et froid. 
Et l’étendue d’eau baigne dans une autre masse, tout aussi impalpable, sans limite mais un peu plus claire, magma aérien où tanguent la lune, les étoiles et le petit vent. 
Te voilà, au milieu d’une foule au milieu d’un canot au milieu de la mer au milieu de la nuit. 

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