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©Pauline Fargue 


À cette heure, 6h30, tu n’as pas encore le droit d’aller dans la cour. Alors, tu gagnes la salle commune. La vue depuis la fenêtre y est panoramique. Tout est calme. La télévision n’a pas encore été allumée. De là, tu peux voir au-delà des barbelés, dans les champs de betteraves. Ils te paraissent immenses et leur couleur rose, un peu irréelle. Tu voudrais y reprendre ta marche, traverser ces étendues et suivre l’horizon plat en poussant de temps en temps du pied de dures mottes de terre, des betteraves et des petits cailloux. Mais tu ne peux pas sortir. Tu dois rester ici. Tu ne t’y ennuies pas moins qu’ailleurs. 

Sur place, tu as reçu dès que tu es arrivé des vêtements propres et des produits pour te laver. On t’a amené à un dortoir, dans le bâtiment de gauche. Vous êtes huit à dormir dans cette chambre avec des lits superposés. Au début, tu dormais sur le matelas du bas, mais dès que ton voisin a quitté le centre de rétention, tu as pris sa place : en haut les mouvements des autres t’empêchaient de dormir. Maintenant, c’est probablement toi qui gènes le petit nouveau. 

Ici, de nuit comme de jour, tu as le temps de compter chaque heure. Plusieurs fois par semaine, tu vas à l’infirmerie pour demander des cachets, selon l’urgence pour t’aider à dormir ou pour être plus tranquille. Il arrive qu’on te donne les deux à la fois, et là, tu es heureux. 

Dans la journée, si tu ne regardes pas la télévision, tu peux aller dans la cour jouer au ballon. Il y a aussi une table de ping-pong. Mais la plupart du temps, tu te rends à l’atelier pour aider à la confection d’un décor de théâtre. L’animateur t’a expliqué que ce décor est pour le spectacle de fin d’année du lycée de la ville d’à côté. Pour chaque journée de travail on te donne 80 centimes. Et avec cet argent, tu te débrouilles pour obtenir du chocolat. Un jour, quand tu as demandé à l’animateur si tu pourrais aller voir le spectacle, il t’a répondu que tu n’avais pas le droit. Les parents d’élèves ne seraient pas contents de voir un étranger arriver de nulle part et s’asseoir parmi eux. Avant que tu n’arrives, il paraît que des tentatives de vous mêler à la population locale ont eu lieu. Mais il y a eu trop d’incidents et maintenant ça n’arrivera plus. 

Tu ne te rends jamais dans le bâtiment de droite. Là, ce sont des familles qui vivent ensemble. Il y a des femmes et des enfants. Tu n’en as croisés que le jour de ton arrivée. Tu ne sais pas ce que fait tout ce monde pendant la journée.

Le soleil s’est levé. Dehors une lumière orange et bleue se mêle à la terre des betteraves. Il est 7h10. Le réfectoire est ouvert, tu vas pouvoir aller prendre ton petit-déjeuner. 

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