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TRIBUNE

Une cinquantaine d’intellectuels, artistes, écrivains et personnalités demandent l’arrêt de l’émission Bas les pattes ! et la démission de son animateur et producteur historique, qui n’est autre qu’Aloïs Gabreil, actuel Vice-Président de l’Union. 

©Pauline Fargue 

Après les plaisanteries graveleuses et homophobes, les gags racistes, puis la propagande dans l’émission Bas les pattes !, il ne manquait plus que les soupçons de harcèlement sexuel. Les révélations qu’ont récemment faites plusieurs employés et ex-employés de l’émission nous amènent à réagir collectivement. Tous ces salariés dénoncent l’entreprise d’humiliation, voire de destruction psychique, qu’Aloïs Gabreil aurait exercée sur eux, aidé par une poignée de complices. Certains affirment avoir été régulièrement sollicités par leur chef pour assouvir ses fantasmes sexuels. D’autres ont subi des remarques et des gestes déplacés. Quelques-uns ont démissionné et sont actuellement en dépression. D’autres enfin, toujours employés dans l’émission, se sont tus mais ont brisé le silence à la suite des révélations de la chroniqueuse Héléna B. 

Nous avons tous vu les images de la dernière émission, où Héléna B. a fondu en larmes, après qu’Aloïs Gabreil ait raillé ses implants mammaires. La scène est à elle seule la pire des accusations. La souffrance qui se lit alors dans le visage de la chroniqueuse nous a semblé insoutenable. En réalité, en plus de 25 ans, elle n’avait jamais évoqué publiquement cette opération. Pire, il est frappant de voir que ce sont bien les gestes de son patron qui l’ont fait s’écrouler en direct : comment ne pas être terriblement ému à la vue du visage, soudain défait, de la chroniqueuse ? Comment ne pas sentir son malaise alors qu’elle tente confusément de dissuader Aloïs Gabreil de s’approcher d’elle ? Comment ne pas être scandalisé par l’indifférence de celui-ci, qui se met comme si de rien n’était à lui soupeser la poitrine et fait mine de lui pincer les tétons ? Les faits de harcèlement sont peut-être fondées ou non. Il ne nous appartient pas de juger de cela. Néanmoins, il suffit de voir Héléna B. se pétrifier pendant ces quelques secondes pour comprendre toute la violence qu’elle est en train de subir. Quand, un peu plus tard, elle quittera le plateau en pleurs sous les rires et les applaudissements du public, Aloïs Gabreil, lui, semble plus hilare que jamais. Cela doit nous interpeller. 

Que malgré ses nouvelles fonctions politiques, un personnage aussi controversé qu’Aloïs Gabreil trouve encore le temps de participer au programme qui l’a fait connaître au grand public est une chose. Mais qu’en présentant chaque samedi une émission entièrement dédiée à la bêtise, à la discrimination, à la gloire de l’argent et de la vulgarité, il poursuive en réalité un business juteux au lieu de se consacrer au bien public est déjà plus problématique. Ne soyons pas dupes, ce mélange des genres lui permet avant tout de rester assez populaire pour mener sa politique à la tête de l’Union. Dans BLP ! il continue exactement comme avant son élection à fustiger ceux qu’il nomme les oligarques, ainsi que les immigrés et les chômeurs, tous selon lui  autant de « parasites du système ». Cet homme d’affaire puissant et riche, qui avait étrangement omis de déclarer des biens immobiliers lors de sa candidature à la Vice-Présidence de l’Union, se sert toujours de son émission comme d’une tribune pour diffuser ses idées nauséabondes. Ça suffit. Les graves soupçons qui pèsent sur un homme qui se croit intouchable montrent qu’il est temps de mettre un terme à ce programme. 

Par cette tribune, nous ne remettons pas en cause la fonction de Vice-Président de l’Union d’Aloïs Gabreil. Il a été élu, à ce titre c’est aux citoyens qu’il doit des comptes. Nous espérons toutefois que, si ces faits de harcèlement sont avérés, la pression sociale et médiatique imposera sa démission. En revanche, nous exigeons que BLP ! ne soit plus diffusée et que son animateur et producteur soit limogé de la télévision publique. Dans le temps de l’enquête et par mesure de précaution, la suspicion ne saurait régner plus longtemps. Si Aloïs Gabreil reste aux manettes d’une telle émission, nous craignons qu’arrive le pire car le pire y a déjà eu lieu. Viol simulé par téléphone, faux dragueur dans un bar gay, plats contenant des aliments interdits, avariés ou allergènes et servis en direct, chantages aux sex-tapes imaginaires ou bien encore gage, récurrent pour ne pas dire traditionnel, du slime, cette pâte gluante plongée dans le slip de membres du public et qu’une personne désignée doit aller rechercher : nous n’oublions pas les ignominies qui ont émaillé BLP ! depuis sa création sans que sa diffusion ne soit jamais compromise. Aujourd’hui, les circonstances ont changé, l’image de l’émission également. Plus personne ne pourra regarder BLP ! en toute indifférence. 

La justice doit pouvoir faire sereinement son travail. Aucune pression ne doit s’exercer sur Héléna B. ni sur les courageuses victimes présumées qui se sont jointes à elle. Nous refusons que BLP ! soit de nouveau le théâtre d’une propagande, dans le but de convaincre le public de l’innocence de l’accusé. Nous ne voulons pas davantage qu’une campagne de décrédibilisation soit lancée contre toutes les victimes présumées, déjà fragilisées. Enfin, nous songeons aux autres chroniqueurs de l’émission. Qu’ils aient subi des abus ou en aient eux-mêmes causés, certains sont peut-être tiraillés entre leur volonté de témoigner, leur fidélité à leur patron et leur intérêt à garder le silence. Qu’ils puissent faire avancer l’enquête et soulager leur conscience !

Pour toutes ces raisons, nous sollicitons le CVMN (Centre de Vigilance Médiatique Et Numérique) pour qu’une limite soit enfin posée, désormais que des soupçons de faits graves et répréhensibles pèsent sur Aloïs Gabreil. Cette histoire, aussi dramatique qu’elle nous paraisse, doit avant tout montrer que la justice est une valeur universelle et que ses instituions savent protéger les plus faibles contre les puissants. Dans la situation actuelle, le contrôle de l’image s’inscrit pleinement dans ce noble principe de l’égalité de tous et toutes devant la loi.